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Que reste-t-il de la banlieue rouge ? (1/2)

Terre d'élection par excellence du PCF jusque dans les années 1970, la ceinture rouge de Paris s'est réduite avec le déclin électoral amorcé en 1981 jusqu'à ne plus représenter que l'ombre d'elle-même. Une question légitime peut même se poser : la banlieue rouge existe-t-elle encore en 2010 ?

 

Rappel historique

La notion de « banlieue rouge » émerge en 1924 lorsque Paul Vaillant-Couturier baptise de ce nom dans L'Humanité les mairies communistes de banlieue parisienne prises par le PCF. Il décrit alors une réalité sociale, économique et politique de communes de banlieues très majoritairement composées d'ouvriers, dont l'économie repose sur de grandes usines de production (automobile, métallurgie, aviation, électricité en sont les piliers) et dont la vie politique est dominée par les communistes, ce qui est nouveau pour l'époque.

Je ne reviendrai pas dans le détail sur le processus historique qui a vu la lente maturation de la ceinture rouge de Paris, et j'en rappellerai simplement les grandes étapes. La première intervient avec le Front Populaire. Devant la menace fasciste et suite à l'effondrement du KPD (Parti communiste allemand) en 1933 après la prise de pouvoir par Hitler, les Partis communistes européens changent leur stratégie politique et adoptent la ligne des fronts populaires, à l'initiative de Staline. En France, cette volonté nouvelle d'union avec le reste de la gauche se traduit aux élections municipales de 1935 par une alliance entre PCF, SFIO et Radicaux préfigurant le Front de 1936.

La nouvelle stratégie communiste rencontre alors l'aspiration du prolétariat français à l'unité. Elle se traduit dans les urnes par un succès majeur du PCF qui remporte près de 300 municipalités dont 31 villes de plus de 20 000 habitants. Ce succès repose avant tout sur une extension de la banlieue rouge, qui passe de 9 à 26 mairies communistes dans la Seine et de 6 à 29 en Seine-et-Oise (voir la carte). Ce succès municipal suit ainsi la géographie électorale et de l'implantation militante du PCF. Il offre aux communistes un point d'appui exceptionnel, dont ils sauront se servir au cours de leur histoire et qui leur permet de développer des politiques sociales ambitieuses (vacances pour les jeunes, logement social...), vitrine de leur projet de société.

 

Mairies 1935

 

Le succès de 1935 est renouvelé en 1945-1947. Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, le PCF bénéficie d'une image très favorable dans la société française du fait de son implication dans la Résistance et du prestige de l'URSS depuis la victoire de Stalingrad. Il est alors à l'apogée de sa puissance électorale avec 28,6 % des suffrages en juin 1946. Cette assise nouvelle lui permet de conquérir plus de 1 500 mairies lors des élections municipales de 1945. Dans le contexte de guerre froide qui survient dès 1947, il perd cependant rapidement la plupart de ces mairies. Il est en effet isolé et, dépourvu d'alliance, ne conserve que les communes dans lesquelles il obtient seul plus de la moitié des voix.

Cette assise amoindrie ne l'empêche pas de progresser dans la Seine entre 1947 (carte n°2) et 1935.

 

Mairies-1947.gif

 

Un troisième temps dans l'histoire de la ceinture rouge de Paris intervient avec les années 1950 à 1970. Ces décennies sont marquées par l'extension spatiale et numérique de la banlieue parisienne. Elles voient également le PCF progresser sans cesse à chaque élection municipale dans la région parisienne. La naissance de la V° République en 1958 marque en effet une rupture majeure avec le changement du scrutin aux élections législatives, qui passe de la proportionnelle au scrutin majoritaire à deux tours dans des circonscriptions. La conséquence pour le PCF est que, isolé dans le paysage politique, il perd ses députés (de plus de 150 à 10 entre 1956 et 1958).

Il doit donc, pour retrouver sa représentation parlementaire, renforcer son implantation locale dans les circonscriptions et faire des alliances. Cette double nécessité lui ouvre les portes de la gestion municipale dans de nombreuses villes de banlieue parisienne, où il devient majoritaire seul ou avec ses alliés (FGDS de François Mitterand notamment). Son implantation municipale en banlieue bénéficie surtout à partir de 1972 de la signature du Programme commun de gouvernement avec le PS. Cette alliance lui permet de conquérir des villes où il pèse un poids important mais où il n'est pas hégémonique.

La banlieue rouge connait alors son apogée en 1977 lors des élections qui voient le triomphe de l'union de la gauche (carte n°3). La banlieue rouge est alors composée de trois catégories de villes :

- les mairies conquises dans les années 1920, en 1935 et en 1945. Conservées durant les années d'isolement, ce sont celles où le PCF est majoritaire seul. Elles sont très homogènes, formatées par l'empreinte ouvrière et industrielle.

- les mairies conquises en 1959 et 1965. Elles sont plus diversifiées, comprennent les premiers grands ensembles (conquête de Sarcelles en 1959) et des villes de grande banlieue (Sartrouville et Corbeil-Essonnes en 1959) ainsi que des villes à la population moins exclusivement ouvrière (Colombes et Levallois en 1965).

- Les mairies conquises en 1971 et 1977. Ce sont les conquêtes de l'union de la gauche, les plus fragiles pour le PCF qui est ici dépendant de ses alliés. Elles sont aussi les plus nombreuses.

Au terme des élections municipales de 1977, le PCF dirige 72 villes de plus de 30 000 habitants sur 221 (22 de plus qu'en 1971). En région parisienne il conquiert 15 villes de plus de 20 000 habitants et domine la petite couronne, de manière écrasante en Seine-Saint-Denis. Cette victoire est particulièrement importante, la banlieue rouge s'affirmant comme une des grandes réserves de voix du PCF, et la terre d'élection constante de ses cadres depuis les années 1930 (Maurice Thorez, Georges Marchais à Villejuif, Robert Hue à Montigny-les-Cormeilles...)

 

Mairies-1977.gif

 

La quatrième phase dans l'histoire de la banlieue rouge est celle du déclin, depuis 1981. La concurrence du PS, la dégradation de l'image de l'URSS et les prises de position contestées du PCF (soutien à l'invasion de l'Afghanistan en 1979, crise des euromissiles en 1983), puis son association à la gestion gouvernementale après 1981 et à la déception qu'elle fait naitre dans les classes populaires, ruinent le capital électoral des communistes. Ceux-ci subissent un premier revers en 1981 avec 15 % des voix aux présidentielles et aux législatives (contre 20 à 22 % dans les années 1970).

Le déclin national du Parti communiste se traduit à l'échelon municipal. La banlieue rouge, terre d'élection historique du PCF, qui lui a fourni cadres, militants et électeurs durant ses années d'isolement de la guerre froide, n'échappe pas à la tourmente. Les conquêtes les plus récentes sont aussi celles qui sont le plus rapidement perdues, principalement en 1983 et 1989.

Après 1989, la banlieue rouge est pour l'essentiel ramenée à ses bases de départ des années 1950, c'est-à-dire aux fiefs historiques du PCF (carte n°4). Elle est cependant plus que jamais la pierre angulaire d'un communisme municipal affaibli, le PCF ayant en proportion reculé plus rapidement dans les grandes villes de province que dans les banlieues de Paris.

 

Mairies-1989.gif

 

On peut dire que dès 1989, la banlieue rouge a disparu dans sa forme historique. Ce qui fondait sa spécificité dans les périodes antérieures, à savoir l'adossement au modèle soviétique, a disparu. En outre, la gestion municipale des communistes longtemps originale est copiée par les autres partis qui en reprennent les thèmes, les pratiques, les innovations, et finalement la banalise. Elle subsiste cependant dans les faits et le PCF continue de gérer de nombreuses communes de banlieue parisienne.

Dans les années 1990, la banlieue rouge est repliée sur ses fiefs, et fonde son avenir sur le maintien en place d'élus vieillissants mais très populaires dans leurs communes. Dans un contexte d'affaiblissement général du PCF, les maires communistes ne sont en effet souvent réélus que grâce à leur propre notoriété. Cela pousse à les maintenir en place de longues périodes : il est courant sinon systématique dans les années 1990 pour les maires communistes d'avoir été élus dès les années 1970 voire les années 1960. Ce vieillissement des cadres va contraindre le PCF a un renouvellement qui va précipiter les défaites, en particulier en 2001.

J'étudierai plus particulièrement dans un deuxième article la situation actuelle de la banlieue rouge, en fait depuis les élections municipales de 2001 (inclues).

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M
<br /> Je n'ai pas beaucoup écrit de commentaires sur ce blog, mais ça m'intéresse beaucoup, et je viens souvent en espérant trouver un nouvel article ! Continue !<br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Bonjour et merci pour vos encouragements. Je dois dire que c'est un plaisir d'avoir ce type de commentaire, qui pousse à publier. Je suis néanmoins assez à cour de temps cette année comme l'année<br /> dernière (préparation de l'agrégation d'histoire), ce qui explique le rythme peu soutenu de publication des articles.<br /> <br /> <br /> Je pense pouvoir publier plus régulièrement à partir de la fin du mois de juin, en particulier pour les analyses des élections cantonales et la préparation des présidentielles et des<br /> législatives.<br /> <br /> <br /> <br />